Jim Davis – père du caporal Paul Davis
C’était le 2 mars 2006, et je me réveillais tout doucement au son du radio-réveil. Je me rappelle avoir fait comme si je n'avais pas entendu les paroles de l’annonceur : « … un soldat canadien a été tué en Afghanistan. » Les autres matins, je m’aurais assied dans mon lit en écoutant avec anxiété la nouvelle, et si ce n’était pas en Afghanistan, un sentiment chaleureux m'aurait envahi. J’aurais embrassé ma charmante épouse, Sharon, et me serais dit : « Quelle belle matinée. » Mais ce matin-là en particulier, je me sentais différent. J'ai décidé de ne pas écouter les nouvelles. Je me suis douché, habillé et dirigé à mon espace de travail habituel pour vérifier mes courriels.
Il était près de 9 heures lorsque Melanie a téléphoné. Ça ne m’a même pas traversé l'esprit que c’était étrange que Mel nous téléphone à cette heure de la matinée. C’était beaucoup trop tôt, elle était à Shilo, au Manitoba. Je pense qu’inconsciemment, je le savais et que je ne voulais tout simplement pas l'entendre. C'est quand j’ai entendu les mots de Sharon « Oh, s'il te plaît Mel, dis-moi que Paul va bien », que j’ai fait le lien avec « un soldat canadien a été tué en Afghanistan ».
Je n’oublierai jamais ce moment de toute ma vie, lorsque Sharon s'est mise à pleurer, assise à la table en train de déjeuner et moi derrière elle avec mes mains sur ses épaules; j’ai posé la question : « Est-il O.K.? »
Ce n'est que trois semaines plus tard, devant le miroir de la salle de bains, que je me suis rappelé comment je me suis fait ce vilain bleu sur le côté gauche de ma poitrine. Je me suis alors souvenu m’être frappé si violemment que je suis tombé à la renverse. Le bleu est maintenant parti, mais la blessure dans mon cœur est toujours présente. Elle me suivra toute ma vie. Elle ne partira jamais.
Comment vivre avec cette blessure dans mon cœur? Le vieil adage dit que le temps adoucit la peine, mais ce n'est pas le cas. Qu’est-ce que le temps fait, il nous donne l’opportunité de trouver la force pour faire face à la situation. Mais où trouver cette force? J’ai trouvé la mienne en allant à la rencontre d’autres personnes et en acceptant leur aide. Ces personnes connaissent ma douleur, car elles-mêmes ont connu cette même douleur.
C’est pourquoi l'appel (du père d’un autre soldat décédé au combat) le jour du décès de Paul était si important. L'avoir entendu me dire qu’il comprenait ce que je vivais parce que son fils avait été tué en Afghanistan en novembre m'a apporté du réconfort et m’a donné de l'espoir. Cet homme aussi dévasté que moi a pris le temps de me téléphoner pour m’offrir un certain réconfort. Je me souviens de la journée du décès de son fils. Pendant les dernières vacances de Noël, j’avais parlé à Paul des circonstances entourant le décès de ce soldat. Maintenant, je parlais à son père au téléphone. C’est un sentiment impossible à exprimer en mots, mais je peux vous dire que je n’étais pas seul et que j’ai su ce que je devais faire. Je devais tendre la main et prendre soin de d'autres personnes ayant perdu un être cher militaire.
Lorsque j’ai reçu un appel en mai m’invitant à me rendre à Edmonton pour assister à une conférence d’une journée en compagnie de sept veuves de militaires et d’un autre père d’un soldat tombé au champ d’honneur, j’ai saisi l’occasion. Je savais que c’était une opportunité pour moi de partager ma peine. J’avais désespérément besoin d’y aller. Avec l'accord de mon épouse et son soutien affectif, j’ai fait mes bagages et je me suis rendu à l’aéroport. Sharon savait que je devais m’y rendre.
Je n’oublierai jamais cette journée à Edmonton. Me voilà assis à une table de conférence avec de charmantes veuves, des mères et un autre père. À tour de rôle, nous avons raconté notre histoire. Ce qui m’a profondément marqué est le fait que nos pertes remontaient aussi loin que1994 et que chacun racontait son histoire comme si c’était hier. J’ai pleuré à chaque histoire. Je ne sais pas combien de boîtes de mouchoirs j'ai vidées. Nous avons tous pleuré, mais ce qui importe le plus est le fait que nous avons ri aussi.
Nous avons ri et nous nous sommes taquinés. Bien que nous ne nous connaissions pas, nous étions en mesure de raconter nos histoires. Ce qui s’est passé cette journée-là est un véritable miracle. Je suis revenu transformé de cette rencontre. J’ai réalisé, après avoir écouté leurs histoires, que je n’étais pas seul. Je pouvais vraiment ressentir la douleur de chacun face à leur perte. Leur tristesse était ma tristesse.
Nous avions tous un dénominateur commun. Nous avions tous perdu un être cher qui était membre des Forces armées canadiennes, et nous savions tous qu’ils étaient de véritables héros canadiens. C’était le réconfort que je recherchais.
Je suis si heureux que nous nous soyons mis d'accord pour rester en contact et pour former un groupe sur le deuil afin que nous puissions tendre la main et aider ceux qui traversent des moments difficiles. Je suis maintenant bénévole au sein de ce groupe et, chaque fois que j’écoute quelqu’un parler de la perte d’un être cher décédé, ma peine est de plus en plus tolérable même si elle est toujours présente.
Si vous lisez mon récit parce que vous avez perdu un être cher qui a servi comme militaire, je vous invite à communiquer avec l’un d'entre nous. Nous connaissons et comprenons votre douleur.
Jim Davis – père du caporal Paul Davis