Margit Simon – Mère du soldat Jason Renato Simon
Je n’oublierai jamais l’appel téléphonique le plus dévastateur que j’ai reçu de notre fille le 15 février 2016. Elle a crié trois mots déchirants « ILS L’ONT TROUVÉ ». Notre garçon chéri, Jason, s’est suicidé au très jeune âge de 20 ans, 4 mois et 5 jours. Tout ce dont je me souviens, c’est d’être tombée par terre et de crier. Notre plus jeune fils était à la maison avec moi et a essayé de me relever, mais je ne pouvais pas lâcher sa jambe et je n’arrêtais pas de crier.
Nous avions essayé d’appeler Jason depuis la veille et lui avions envoyé des messages textes. Le dernier appel téléphonique que j’ai eu de lui remontait à la veille, un petit cinq minutes le matin, alors qu’il essayait son nouveau numéro de téléphone. Il avait l’air d’aller bien, il m’a même demandé d’assembler un colis réconfort et de le lui envoyer. Après ça, plus rien.
Nous ne savions pas que Jason se débattait… jusqu’à la fin janvier, lorsqu’il m’a téléphoné pour me dire qu’il se sentait suicidaire la veille. J’ai aussitôt offert de me rendre en voiture à Ottawa où il habitait. Il a dit qu’il allait bien et qu’on le verrait bientôt de toute façon, pendant la semaine de lecture. Mais le lendemain, le 31 janvier, son meilleur ami et âme sœur, Bri, m’a appelée et m’a dit que je devrais venir à Ottawa tout de suite. Jason avait essayé de se suicider. J’ai conduit neuf heures pour aller à l’hôpital. J’ai passé du temps avec Jason à l’hôpital et ensuite à la maison avec lui. Il a dit qu’il se sentait mieux, que les choses allaient mieux pour lui à l’école et avec son unité militaire. Il avait beaucoup de soutien et de projets pour son avenir, y compris l’obtention de son diplôme universitaire afin de pouvoir s’enrôler dans la Force régulière. Il avait prévu avec ses amis de faire un voyage en voiture sur la côte Ouest cet été-là. Il avait choisi une voiture qu’il voulait acheter. Après l’obtention de son diplôme, il allait m’emmener en Europe pour un voyage dans le cadre du jour J.
Je me sentais si brisée par la perte et la douleur. Ma vie, ce sont mes enfants. Je faisais maintenant face à un avenir inconnu auquel je n’aurais jamais pu me préparer. Nos vies telles que nous les connaissions avaient disparu. Comment pourrais-je aller de l’avant? Je n’imaginais pas passer à travers cette perte incommensurable. Je n’arrivais pas à dormir, à manger ou à me concentrer sur quoi que ce soit. Bien sûr, cela a affecté ma vie personnelle, qui est encore à ce jour très douloureuse, et aussi ma vie professionnelle à laquelle je n’aurais pas pu moins me soucier à l’époque. En fait, j’ai quitté mon travail et je n’y ai jamais repensé.
Ma foi a été ébranlée au plus profond, mais je ne l’ai jamais perdue. J’avais et j’ai encore beaucoup de questions sur la raison pour laquelle nous avons perdu notre fils. Et puis il y a eu le blâme, comment se fait-il, qu’en tant que mère, je n’ai su ou ressenti ce qui allait se passer? Mon seul travail et ma seule responsabilité sont de protéger mes enfants de tout danger et j’ai échoué!!! Je m’en veux encore de ne pas avoir su que Jason souffrait tant!
La toute première lueur d’espoir pour moi venait d’une autre mère de militaire qui a perdu son fils en Afghanistan. Elle m’a appelée quelques semaines après le décès de Jason. Bien sûr, je ne l’ai pas crue quand elle a dit que ça changerait, que la douleur ne serait pas à vif pour toujours. Elle m’a dit que je pourrais me lever tous les matins et, petit à petit, faire face chaque jour. Ses appels téléphoniques hebdomadaires étaient ma bouée de sauvetage. Même si nous avons perdu nos fils de façons totalement différentes, elle ne m’a jamais fait sentir que notre perte était inférieure à la sienne.
En tant que mère, je ne sentais pas seulement le soutien des autres, mais aussi le jugement. Certains soi-disant amis demandaient comment nous avions pu laisser Jason à Ottawa. Ils ont dit que si c’était leur propre enfant, ils ne seraient jamais partis et qu’ils l’auraient sauvé. Ce qu’ils ne savaient pas ou ignoraient, c’est que nous étions toujours là, à un coup de fil près, et que nous venions souvent lui rendre visite. Si j’avais su que ça arriverait, je n’aurais jamais quitté Jason! Mais les gens ne comprennent pas.
Jason m’a dit à l’hôpital que ça n’aurait pas eu d’importance si j’avais été dans la maison d’à côté ou même dans la chambre d’à côté! Quand les ténèbres sont arrivés, il a senti qu’il n’y avait aucun moyen de s’en sortir et que la seule chose qui comptait à ce moment-là était de mettre fin à cette obscurité douloureuse et effrayante.
Ensuite, il y avait des étrangers qui répandaient la stigmatisation et la honte bien connues au sujet du suicide. Ce qu’ils ont dit était très douloureux! Sans connaître notre fils, ils l’ont traité d’égoïste, de faible, de lâche! Notre Jason n’était rien de tout ça! C’était une personne authentique et généreuse. Il a toujours aidé les autres sans les juger. Et comme je l’ai dit à ceux qui l’ont jugé, ce n’était pas un lâche. Jason était une âme très courageuse! Je l’appelle notre héros. Maintenant, mon mari et moi faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour aider les autres à comprendre la maladie mentale, qu’elle est comme toute autre maladie et que la stigmatisation doit être supprimée. Espérons que nous aiderons à en sauver d’autres.
Même les membres de la famille ne comprenaient pas, faisant des commentaires très douloureux et mentant aux autres sur ce qui s’était passé. Ma meilleure amie de plus de 30 ans a disparu après avoir découvert comment Jason est décédé, mais ce n’était pas le cas de notre famille militaire. De l’unité de Jason, ma mère ESPOIR (comme j’appelais ma paire aidante), ainsi que du programme ESPOIR et des étrangers de partout au Canada, nous avons reçu le soutien le plus respectueux et rempli d’amour. Je suis certaine que je ne serais pas rendue là où j’en suis aujourd’hui sans eux! C’est pour moi, le dernier cadeau que Jason nous a fait. Il savait que nous serions toujours soutenus et protégés par notre famille militaire. Et nous en serons toujours reconnaissants.
Maintenant, c’est à mon tour d’aider d’autres mamans qui ont perdu leur enfant. Quand je les appelle la première fois et qu’elles me parlent de leur perte, je me reconnais dans leur histoire. C’est tragique. Mais comme m’a dit ma mère ESPOIR, je dis à mes paires : « La douleur sera différente avec le temps. S’il vous plaît, laissez-moi vous aider et faire un essai. Ensemble, nous pouvons marcher sur le chemin du deuil et nous aider les uns les autres à voir la lumière. » Je suis très fière d’elles lorsqu’elles commencent à faire des progrès et qu’elles peuvent partager non seulement les souvenirs douloureux, mais aussi les souvenirs drôles et mignons. Et elles sont capables de sourire et de rire à nouveau.
Nos vies ont été brisées en ce jour fatidique, mais nous faisons de notre mieux pour montrer aux autres familles qu’il y a de l’ESPOIR et qu’elles n’ont pas à vivre cela seules.
Margit Simon – Mère du soldat Jason Renato Simon