L’autre revers de la médaille : le combat d’un enseignant autochtone pour garder sa culture vivante
Par Charlene Hatcher, âge: 18, Kingston, Nouvelle Écosse
Gagnant du concours jeunes journalists 2022
Catégorie : Les héros dans ma communauté
Pour Greg Dorey, l’histoire est personnelle. En tant qu’enseignant à l’école secondaire West Kings à Auburn, en Nouvelle Écosse, l’un de ses cours les plus connus est sans contredit Études mi’kmaw 11, qui n’existerait pas sans ses efforts acharnés et ceux d’une équipe d’enseignants et d’aînés autochtones de la province qui pensaient que les études autochtones n’étaient pas transmises adéquatement aux élèves, voire pas du tout.
Dans le cadre de l’initiative visant à offrir le cours à l’école West Kings il y a onze ans, il a finalement atteint son objectif trois ans après avoir proposé la mise en œuvre du cours dans les écoles de la Nouvelle-Écosse.
« Une certaine résistance s’est manifestée au début, car certains pensaient que l’école n’avait pas vraiment besoin d’un cours sur les Micmacs, explique-t-il. Ce cours était toutefois nécessaire parce que la communauté avait besoin d’accentuer sa diversité et d’apprendre à connaître notre territoire et les peuples des Premières Nations d’ici. »
Micmac de la Première Nation de la vallée de l’Annapolis, Greg Dorey profite du cours pour faire connaître sa culture aux élèves, ce qu’il appréhendait auparavant par crainte d’être confronté au racisme et à d’autres difficultés que les peuples autochtones connaissent.
« Je ne m’attendais vraiment pas à pouvoir [enseigner ma culture] à l’école. La donne change vraiment d’avoir un cours positif sur les Micmacs », dit-il.
Après la découverte de 215 tombes non marquées à l’ancien pensionnat de Kamloops, en Colombie Britannique, le pays a entamé une réflexion en vue de la réconciliation entre les Canadiens et les peuples des Premières Nations. Greg Dorey n’a pas fréquenté de pensionnat, mais il en reconnaît les séquelles sur les Premières Nations, y compris sur certaines de ses connaissances.
« [Les conséquences des pensionnats] touchent ma génération, car beaucoup de Micmacs ne parlaient plus la langue micmaque ou craignaient de la parler », mentionne l’enseignant.
Greg Dorey a appris à parler la langue au Nouveau Brunswick, pendant ses études postsecondaires, plutôt que par l’entremise de ses aînés et de sa famille qui craignaient qu’on se moque de lui.
Ivy Sharp a suivi le cours Études mi’kmaw 11 en 2020. Après en avoir entendu parler par des élèves qui l’avaient suivi auparavant, elle a décidé de s’y inscrire. Elle explique que le cours lui a donné une nouvelle perspective sur les questions autochtones et l’a incité à approfondir ses connaissances par la suite, grâce à l’influence de Greg Dorey.
« Greg Dorey a eu une influence sur ma façon de percevoir les enjeux [en classe], surtout en ce qui concerne les questions autochtones. J’ai toujours su qu’il existait des inégalités, mais il m’a vraiment montré à quel point elles étaient énormes. J’ai commencé à m’intéresser aux moyens que je pouvais prendre pour aider à résoudre ces problèmes et [en savoir] plus sur la culture. Je trépidais d’impatience à l’idée d’assister au cours parce que Greg Dorey rendait l’apprentissage dynamique », raconte t elle à Charlene Hatcher dans un courriel.
Selon Greg Dorey, le cours Études mi’kmaw 11 est offert dans environ 75 % des écoles de la province. Dans certaines écoles, note t il, une immersion en langue micmaque est proposée, où les élèves peuvent choisir d’apprendre uniquement en micmac, à l’instar du programme d’immersion en langue française proposé dans la plupart des autres écoles du pays.
Cependant, la grande majorité des enseignants du cours Études mi’kmaw 11 sont allochtones, à quelques exceptions près. « C’est un aspect sur lequel nous devons nous pencher et y travailler davantage », déclare Greg Dorey quant au nombre d’enseignants autochtones dans la province et aux cours sur les Autochtones offerts aux élèves.
Les membres du groupe responsable du cours Études mi’kmaw 11, dont fait partie Greg Dorey, se réunissent chaque année pour mettre à niveau le programme. Composé de six enseignants et d’un aîné autochtone, le groupe a pour objectif d’améliorer le cours afin de mettre au jour les dernières découvertes et informations concernant les peuples des Premières Nations du Canada, comme les séquelles des pensionnats et le conflit sur la pêche au homard en Nouvelle Écosse en 2020.
« Nous [les Micmacs] avons le droit de nous exprimer et de relater notre histoire, que nous avons nous mêmes écrite, et non racontée selon un point de vue colonial », explique Greg Dorey.
Dans l’avenir, il prévoit de continuer à faire connaître sa culture et à sensibiliser les élèves de l’école West Kings en offrant le cours Études mi’kmaw 11.
Chaque année, les élèves inscrits au cours mettent la main à la pâte afin d’enrichir leurs connaissances de la culture micmaque par des moyens traditionnels et modernes, par exemple en fabriquant des capteurs de rêves ou en se promenant dans la nature.
« Il est important d’en apprendre davantage sur la culture des Autochtones pour reconnaître leur rôle dans l’évolution du Canada et leurs contributions à ce pays », déclare Ivy Sharp, une réflexion que partage Greg Dorey.
« Non seulement notre histoire remonte à loin, mais les Micmacs foulent encore notre sol, explique Greg Dorey. Nous sommes loin d’être une relique du passé. »